Le prix psychologique des ebooks
Podcast #2 – qui gagne combien dans l’auto-édition
Dans ce billet de blog, j’ai souhaité aborder la question délicate du prix de vente et des revenus dans l’édition. Alors, oui, l’argent est, en France, encore plus tabou que le sexe. Soit. Mais quand on est (auto-)éditeur, il faut bien se poser ces questions de prix de vente… et vous allez voir que ce n’est pas si facile.
Un rapide sondage sur Insta n’a pas valeur d’étude de marché, mais pourtant, cela aura confirmé d’autres sources :
- La majorité des gens sont prêts à mettre au plus 5 € dans un ebook
- La majorité des gens attendent un écart d’au moins 10 € entre la valeur d’un ebook et la valeur d’un livre broché, soit un ebook à 10€ pour un broché de 20€
- La majorité des gens attendent un prix de vente de l’ebook inférieur à celui d’un livre de poche
Vous vous retrouvez dans ces constatations ?
Et du coup, dans la filière du livre, qui gagne combien ? Est-ce que le prix psychologique de l’ebook permet aux différents acteurs – dont l’auteur – de gagner leur vie ? Qui peut sortir gagnant avec l’essor de l’ebook, particulièrement visible avec le confinement ?
Beaucoup d’ebooks dépassent les 10 € !
Si vous allez faire un tour sur la boutique Kindle d’Amazon, vous conviendrez qu’il y a contraste : deux grandes familles d’ebooks se dégagent.
La famille des éditeurs traditionnels
Les éditeurs traditionnels ne cherchent pas à développer leurs ventes d’ebooks. Il n’est pas rare de trouver des livres de poche moins chers que la version numérique, voire des livres brochés moins chers que l’ebook correspondant !
Il y a là une querelle qui n’est pas sans rappeler celle du livre de poche dans les années 60 : c’est dire que le sujet n’a rien de nouveau.
En fait, le monde de l’édition traditionnelle opère une véritable opération de blocage de l’ebook depuis des années. Confinement oblige, certains ont dû s’en mordre les doigts !
La famille des auto-éditeurs
A l’inverse, l’auto-édition profite à fond de l’opportunité de l’ebook, délaissé par l’édition traditionnelle. Et là, les prix sont beaucoup plus avantageux : beaucoup d’ebooks sont gratuits, et la majeure partie ne dépasse par les 4€99, ce prix psychologique du lecteur.
Du coup, si vous prenez le top 100 des Kindle au classement Amazon, vous pourrez constater la présence de nombreux auto-édités, souvent bien loin devant les Guillaume Musso et autres best-sellers.
Car oui, pour être dans le top 100, il faut vendre, et le lecteur n’a pas envie d’acheter la version numérique du dernier Musso à 13€99. Et cela ne peut que profiter à l’auto-édition.
Ebook : à qui profite le crime ?
Je remercie beaucoup Morgane, des Editions du Lac (des passionnés, sympathiques, intéressants, allez vous abonner à leur compte Insta !) pour m’avoir transmis le visuel ci-contre.
Ce visuel correspond à la répartition du « gâteau » d’un livres broché vendu 20€ TTC. Ce sont des ordres de grandeur qui, après vérifications et recoupage d’infos, sont très cohérents.
Du coup, si le prix de vente d’un livre passe à 5€ voire 10€ TTC pour sa version numérique, qui sont les grands gagnants et les grands perdants, sur la vente d’UN livre ?
Les grands perdants
L’Etat est perdant avec l’ebook : la TVA est proportionnelle au prix de vente. Ventes moins chères = moins de recettes.
Quant aux libraires et imprimeurs, ce sont les deux gros perdants dans l’opération : 100% de pertes ! Ce n’est pas nouveau, je n’ouvrirai pas le débat ici sur le méchant GAFA qui asphyxie les gentils libraires et imprimeurs. En réalité, l’innovation du livre de poche, à l’époque, avait déjà transformé ces deux métiers, qui n’ont pas attendu les GAFA pour être écornés.
Comme ces deux métiers sont inutiles dans le cadre du livre numérique, cela génère une économie facile de 45% sur le prix de vente : on peut enlever directement 9€ sur les 20€ d’un livre broché. Aïe. On voit que cela ramènerait le prix de l’ebook à 11€… nous restons loin des 5€ de prix psychologique… Alors où peut-on trouver d’autres économies pour diminuer le prix de l’ebook ?
Le Diffuseur
La Diffusion, c’est l’intermédiation entre l’éditeur et le libraire, car il y a toute une chaîne logistique dans le monde du livre (dont nous avons d’ailleurs vu l’importance avec le confinement).
Le cas du Diffuseur est particulier :
- Ce ne sont pas les mêmes diffuseurs pour le livre numérique et pour le livre papier
- Ce ne sont pas les mêmes métiers, l’un est un commerçant logisticien, l’autre est un développeur informatique (je fais rapide)
- La rémunération relative du diffuseur numérique est supérieure à celle du diffuseur traditionnel (30 à 40% du prix de l’ebook contre 20% du prix du broché)
- Mais la rémunération absolue du diffuseur numérique est inférieure à celle du diffuseur traditionnel (environ 1€75 pour un ebook à 5€, 3€50 pour un ebook à 10€, contre 4€ pour un livre broché à 20€)
La chaîne de diffusion baisse donc sa rémunération globale dans le cas de l’ebook et on pourrait croire à une simple baisse de revenus de la filière.
Sauf que les diffuseurs numériques ne sont pas les mêmes entités que les diffuseurs traditionnels. Ces derniers risquent de TOUT perdre, alors qu’ils ont une présence terrain, des charges fixes élevées, des investissements.
Et à l’inverse, de nouveaux acteurs de diffusion sont apparus, basés sur l’informatique qui est, en langage de start-up, « scalable » : avec une même plateforme web, vous pouvez attaquer un marché colossal et donc amortir les frais de développement comme jamais aucun diffuseur traditionnel n’a pu le faire. Bref, c’est une belle occasion de s’enrichir comme pas possible. C’est le modèle Amazon (et autres) : gagner plus en vendant moins cher. Et ces plateformes ne s’en cachent pas : il vaut mieux diffuser 1000 auto-édités qu’un seul best-seller équivalent au fort pouvoir de négociation. Cela revient financièrement au même. Cerise sur le gâteau : auto-édités et lecteurs, captifs de la plateforme pour le livre, vont acheter d’autres produits plus rémunérateurs…
Le cas de l’Editeur
L’éditeur empoche ce qui reste entre le prix de vente et les différentes « dépenses » (Etat, Auteur, Diffuseur). Ce gain va permettre de financer le travail de sélection, les corrections, les maquettes, la communication, les services presse, … Avec un prix de vente à 5€, le compte n’y est pas, il semble manquer des recettes par rapport au livre traditionnel.
Petit bémol : dans l’édition traditionnelle, l’éditeur prend (prenait ?) des risques. Il opérait un tirage offset à compte d’éditeur des livres qu’il mettait à disposition du diffuseur. Si les ventes étaient bonnes, pas de souci. Sinon, retour à l’envoyeur avec la fameuse « mise au pilon » : destruction du stock d’invendus, soit une perte colossale (toutes les dépenses, aucune recette, sans parler du Besoin en Fond de Roulement).
Bon, l’impression numérique avait déjà modifié un peu la donne : nombre de maisons d’édition font imprimer des petites quantités. Avantage : beaucoup moins de risque. Inconvénient : l’impression coûte plus cher. Du coup, une part plus importante revient alors à l’imprimeur numérique, ce qui vient diminuer d’autant la part de l’éditeur.
Bref, avec un prix de vente de l’ebook à 5€, les petites maisons d’édition gagnent peu ou prou la même chose qu’en impression numérique, avec des coûts de maquettage moindre, un risque encore plus faible (mais une répartition des dépenses différentes) et donc des marges supérieures.
A l’inverse, les grandes maisons d’édition, qui tirent en offset des volumes très conséquents, perdent près de 40% de leurs revenus sur un ebook à 5€…
Si l’ebook est vendu à 10€, la donne change complètement : l’éditeur devient le grand gagnant de l’opération… ce qui explique certaines pressions pour ré-équilibrer la part qui revient à l’auteur. On y revient un peu plus loin.
Car l’Auteur, dans tout ça ?
L’auteur est rémunéré au pourcentage. On en parle peu en France, tant l’ebook est un sujet tabou (et Amazon aussi) : ce pourcentage est le même quel que soit le support et donc prix de vente moins cher = moins de droits d’auteur.
Dans le cas d’un ebook à 10€, l’auteur perd 50% de rémunération.
Dans le cas d’un ebook à 5€ - le prix psychologique des lecteurs ! – l’auteur perd 75% de rémunération !
Pas de quoi ravir les auteurs attachés à des maisons d’édition.
La relation éditeur-auteur : des vases communicants
Les faits sont là :
- Dans les plus grosses maisons d’édition, le passage à l’ebook entraîne une perte de rémunération plus importante pour l’auteur que pour l’éditeur : cela peut sembler assez injuste pour les auteurs.
- Dans les plus petites maisons d’édition, ce même passage est profitable aux éditeurs, alors même que l’auteur y perd beaucoup : c’est encore plus injuste !
Dans certains pays, les droits d’auteur sur ebook deviennent bien plus importants en pourcentage, allant jusqu’à un 50-50 : 50% pour l’éditeur, 50% pour les auteurs.
En France, ce n’est à priori par la norme… Du coup, l’auteur perd une bonne partie de ses revenus. Déjà que la plupart ne vivent pas de leur plume…
Et pour l’auto-édition ?
L’auto-éditeur empoche la part à la fois de l’auteur, et celle de l’éditeur, autant dire que c’est la voie la plus rémunératrice en soi. Mais attention : l’auto-édition, cela reste de l’édition. Le travail de l’auteur n’est plus le même (cf. cet autre article qui traite du sujet).
Forcément, c’est tentant, d’autant qu’il n’y a quasiment plus aucune barrière à l’entrée ! De nombreux outils existent, et la plupart sont gratuits… Il n’y a « que » le temps de l’auteur auto-édité à rémunérer…
En fait, l’auto-éditeur, en perpétuelle professionnalisation, est le grand gagnant de l’ebook (avec Amazon également).
Les gros éditeurs traditionnels sont frileux vis-à-vis de l’ebook et cela se comprend : l’ebook pourrait vampiriser les ventes de brochés (et même les ventes de poche), plus rémunératrices de base, tout en déstructurant un écosystème du livre, où chaque échelon a besoin de l’autre. Sans compter que le nombre de lecteurs au format numérique reste faible en France (et pour cause, vu les prix pratiqués : le serpent se mord la queue), même s’il progresse année après année (avec un gros coup de boost pendant le confinement). Du coup, investir sur l’ebook, ce serait faire beaucoup d’efforts, pour ne pas gagner grand-chose de plus.
Comme beaucoup de « petits » éditeurs se calquent sur les grandes maisons, pour toute la filière de l’édition traditionnelle, le passage à l’ebook massif n’est pas gagné : les modèles mentaux du secteur ne le permettent pas.
Editeurs, imprimeurs, libraires, auteurs ont tous peur d’y perdre (et pour certains, à juste titre). Le numérique est donc délaissé et laisse la place à de nouveaux acteurs…
Certaines maisons d’édition agiles tireront leur épingle du jeu et pourront vivre de leur métier grâce à l’ebook. Charge à elles de valoriser leur sélection éditoriale et leur professionnalisme pour aller titiller le prix psychologique haut de 10 €.
Quant aux auto-éditeurs, ce sont ceux qui ont probablement le plus à gagner avec le numérique, au prix psychologique de 5€ que le lecteur est prêt à débourser.
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(3 commentaires)
[…] Le prix psychologique des ebooks […]
Très intéressant, malheureusement il n’est nul part mentionné le manque à gagner dû au marché de l’occasion.
Car, je pense que le numérique moins cher pousseraient beaucoup de personnes qui jusqu’à présent achètent principalement des poches en occasions, seraient davantage tentées par des ebooks si le prix était inférieur aux fameux 10 euros.
Je m’explique, car ces acheteurs ne sont pas comptabilisés pour les gains réalisés par les auteurs. Ce qui ferait donc mathématiquement augmenter considérablement le nombres d’acheteurs.
Donc en conclusion, le fait d’avoir un tarif élevé ne rapporte pas davantage, mais à un effet pervers qui diminue d’autant les acheteurs potentiels.
Car, ne nous trompons pas, les livres que l’on souhaite garder cela prend de la place contrairement aux versions numériques.
La plupart des acheteurs préfèreraient choisir le numérique pour le côté pratique.
Désolé pour la longueur 🙀
Marché de l’occasion… et les prêts 😉
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