Quand l’inspiration devient-elle plagiat ?
Cette idée d’article m’a été donnée – je précise, vu le sujet du jour ! – par Lily Padioleau.
La question posée : quelle est la différence entre Inspiration et Plagiat ?
Hé bien, ce n’est pas un sujet facile, tant la notion de Plagiat renvoie à du juridique, du moral, mais aussi de l’acceptation sociale.
J’ai vu de nombreux débats sur Insta, du type : « oh, celui-ci, il t’a piqué l’idée de faire tel type de live ! » ou « la couverture de celle-là, y a un motif qui ressemble beaucoup à celui-ci sur ta couv, faut que tu l’engueules » ou encore « t’avais dit à Truc que tu allais écrire un roman de Fantasy avec des dragons d’eau, et il l’a fait avant toi, c’est un scandale ! ».
Ces débats émotionnels trahissent une mauvaise compréhension de la notion d’Idée :
- Les Idées ne sont jamais 100% originales, elles s’inspirent forcément du passé et des autres
- Une idée n’est (quasi) pas protégeable
- Une idée n’a pas de valeur en soi
Je vous propose de développer ces trois points qui vont faire grincer un paquet de dents.
« Créer, c’est se souvenir »
« Créer, c’est se souvenir. » écrivait Victor Hugo (désolé, je n’ai pas trouvé le lien vers son profil Instagram – par contre, c’est Hélène P. Merelle qui m’a soufflé cette citation pour laquelle je n’ai trouvé aucune source claire). L’écriture, c’est exactement ça : utiliser le passé pour créer une œuvre plus ou moins originale.
Tous les grands auteurs se sont inspirés d’éléments internes (leur propre imaginaire) mais surtout d’éléments externes : la nature, leur famille, leurs amis, leur vie… et aussi les textes de leurs prédécesseurs, anciens (la mythologie) ou contemporains. Tolkien s’est largement inspiré de Beowulf, par exemple, mais aussi de William Morris : personne n’accuserait aujourd’hui l’auteur du Seigneur des Anneaux de Plagiat !
C’est le principe même de l’Intertextualité : « Le texte littéraire se constituerait donc comme la transformation et la combinaison de différents textes antérieurs compris comme des codes utilisés par l'auteur. »
Tout le problème vient de ce « plus ou moins » très subjectif, qui laisse trop de part à l’interprétation personnelle, et donc aux débordements émotionnels.
Alors certes, tous les auteurs – j’en fais partie ! – aimeraient révolutionner la littérature, mais dans les faits, nous tricotons tous les mêmes codes, nous puisons dans les mêmes sources d’inspiration, nous écrivons sur les mêmes thèmes… et cela ne nous empêche pas de créer des œuvres originales, qui reposent sur l’agencement de nos Idées et leur transformation en produit fini qu’est un roman. Certains auront du succès, d’autres pas. Règle des 5C (C’est Con mais C’est Comme Ça).
En tous cas, les Idées ne sont qu’un point de départ, et…
Une idée ne se protège pas
Une « simple » idée ne se protège pas. Un concept flou non plus.
Imaginez le premier mec au monde qui a pensé au concept d’apéro : vous l’imaginez péter un scandale à ses potes parce qu’ils organisent eux-aussi des apéros ? Vous l’imaginez essayer de défendre le fait que le concept lui appartient et que tout organisateur d’apéro lui doit des royalties ? Ce serait triste… et coûteux.
Car oui, le sujet de la protection porte en lui la question des sous. Des pépettes. De l’oseille, du flouze. Ce gros sujet tabou, celui-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom. Sauf qu’on va le voir juste après, une Idée ne porte pas de valeur – financière – en soi. Donc si on met de côté le fait de devenir millionnaire avec une simple Idée, on résout déjà pas mal de débats.
Reste la double question morale et juridique de la protection des Idées. J’ai lu cet article de Cairn hyper intéressant sur le sujet ! En voici un rapide résumé :
- Le Plagiat n’a pas d’existence juridique en soi (ce peut être de la contrefaçon, de la concurrence déloyale, du parasitisme économique, …).
- Le Plagiat est un sujet moral, et l’article le définit comme « la reprise de tout ou partie d’un travail intellectuel avec la volonté de se faire passer pour l’auteur. »
- Certains types de Plagiat sont interdits.
- Et donc à l’inverse, certains types de Plagiat sont autorisés : les parodies par exemple.
- Enfin, de nombreuses zones grises existent : quid des fan fictions ? Quid des illustrateurs qui vendent des créations originales Pokemon, Marvel ou autre Star Wars ? Ces pratiques sont socialement assez bien acceptées… et tant qu’il n’y a pas de gros sous en jeu, tolérées par les ayants-droits.
En attendant, ce qui est protégeable, ce n’est pas une Idée littéraire, mais sa transformation en un roman (achevé ou pas) : c’est le rendu final qui peut faire l’objet de poursuites. Si un auteur devient millionnaire avec des Idées proches des vôtres, faut arrêter de faire les rageux : fallait juste écrire le roman exceptionnel qui incluait ces Idées, ce roman qui vous aurait peut-être aussi rendu millionnaire… ou pas.
Si par contre cet auteur millionnaire vous a « piqué » votre manuscrit, la donne est différente, même si cette question juridique reste TRÈS compliquée et nécessite l’intervention d’un Juge.
Exemples :
- J’ai fait un copier-coller de l’œuvre de J K Rowling et j’ai mis mon nom dessus (Plagiat, là, c’est facile ; et en même temps, ce n’est pas garanti du tout que je gagne beaucoup d’argent avec, indépendamment de toutes poursuites légales)
- J’écris une Fan Fiction issue de l’univers de Harry Potter : Plagiat ou pas ? (Zone grise de tolérance… tant qu’il n’y a pas d’enjeu financier important)
- Et si j’écris la suite de Harry Potter, un sequel ? (Plagiat, sauf à l’expiration du monopole d’exploitation !)
- Et si j’écris l’histoire de Harry Totter, sorcier à lunettes orphelin avec une cicatrice en forme d’éclair sur le front qui va dans une école de magie ? (Plagiat moral, mais il restera au Juge d’évaluer les ressemblances pour caractériser la contrefaçon ou le parasitisme)
- Et pour l’histoire de Parry Hotter, sorcier à lunettes orphelin avec une cicatrice en forme d’éclair sur le front qui fait carrière dans le porno magique ? (Risque de parasitisme, donc Plagiat)
- Mais si Parry Hotter, sorcier à lunettes orphelin avec une cicatrice en forme d’éclair sur le front, démonte de façon humoristique le monde de Rowling ? (Parodie, donc pas Plagiat)
- Et si maintenant, j’écris l’histoire d’un sorcier sans lunettes avec une cicatrice en forme de spirale sur la fesse droite qui va dans une école de magie ? (Zone grise)
- L’histoire d’un sorcier orphelin qui doit s’opposer à un méchant sorcier ? (Pas Plagiat : cela représenterait le tiers des romans de Fantasy !).
Rowling n’est pas « propriétaire » de l’Idée du sorcier orphelin qui va dans une école de sorcellerie.
Tolkien n’est pas « propriétaire » de l’Idée des elfes et des anneaux magiques (qu’il a d’ailleurs largement emprunté à d’autres) et si la question s’est posée pour le terme Hobbit, c’est le côté « trompeur » qui a fait pencher la balance juridique (d’ailleurs, le vrai sujet pour le terme Hobbit, c’est qu’il renvoie tellement à Tolkien qu’il serait honteux et sacrilège pour un auteur de l’utiliser ; on en reparle dans quelques siècles, la donne sera sûrement différente).
Nous autres auteurs sommes rarement à l’origine d’un concept tellement exceptionnel en soi qu’il va enjailler les foules au point de nécessiter le recours à un Juge. D’autant que si on se garde du Plagiat trompeur en mode copier-coller (de tout ou partie d’un roman), la simple Inspiration n’est même pas forcément « bankable ».
Une Idée a peu de valeur
Car une simple Idée littéraire n’a guère de valeur en soi. C’est sa transformation en un « quelque chose » reconnu par son lectorat qui lui donne de la valeur (et qui du coup est plus ou moins protégeable !).
D’autres romans ont mis en scène des écoles de magie ou des elfes. Ont-ils eu le succès de leurs sources d’inspiration (consciente ou pas) ? Non. Ont-ils même eu du succès… Car même sans sanction juridique, l’opinion publique peut être cruelle et qualifier de telles œuvres de « pâles copies » (le summum du désengagement du lectorat)… alors même que ce n’est objectivement pas du Plagiat.
L’Art est un processus créatif : ce n’est pas l’Idée qui a une valeur en soi. Elle n’est que le point de départ d’une transformation qui lui donne de la valeur… si le rendu écrit final parvient à convaincre des lecteurs, si l’auteur parvient à engager des parties prenantes sur son œuvre littéraire.
Attaquer les copains auteurs parce qu’ils ont des Idées proches des siennes (il a piqué mes Idées !), c’est une perte de temps : il vaut mieux utiliser son énergie pour transformer ces Idées en romans, chacun à sa manière, puis à enjailler les lecteurs potentiels sans tromperie.
« Le Hobbit est publié en septembre 1937, presque par hasard : c’est une ancienne étudiante de Tolkien, Susan Dagnall, enthousiasmée par le manuscrit, qui le met en contact avec la maison d’édition londonienne George Allen & Unwin et le convainc de le faire publier. »
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/J._R._R._Tolkien#Oxford
Ce n’est pas l’Idée des Hobbits ou le détail de son World Building qui ont fait le succès de Tolkien : c’est l’engagement de Susan Dagnall, qui a lu et cru dans ce manuscrit au point de faire jouer son réseau et de convaincre son employeur ! Cela ne retire rien au talent de l’auteur que de reconnaître que la vraie valeur de ses écrits vient… des lecteurs.
Plein d’Idées mais sans lecteurs, un auteur n’est rien. CQFD.
PS : un grand merci à Lily pour l'idée de ce post, mais aussi à Sienna et Anaïs pour leurs relectures juridiques 😊
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